« L’agronome Louis Robert, un expert dans le secteur des grains, avait condamné l’ingérence du privé dans la recherche publique sur l’usage des pesticides. Le 24 janvier, il a été limogé, par décision du ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, pour avoir transmis un document confidentiel à un journaliste, ainsi que pour avoir contrevenu aux obligations de discrétion, selon la lettre de congédiement rendue publique… »[1] Depuis, les passions se déchaînent : M. Robert est-il un lanceur d’alerte qui a le bien du public à cœur? Ou est-il un délinquant qui mérite d’être congédié?
Robert avait « d’abord dénoncé à l’interne le fait que les intérêts privés ont une emprise sur la recherche financée par vos impôts au sein du Centre de recherche sur les grains…»[2] Pourquoi est-ce que la recherche sur les pesticides payée par nos impôts (c’est également vrai pour les OMG) serait contrôlée par les fabricants de pesticides? Après tout, les pesticides ont pour objet de tuer certains « parasites » : mauvaises herbes, champignons indésirables ou insectes ravageurs. Ce sont des « poisons » qui doivent être utilisés avec parcimonie en respectant le principe de précaution. En contrôlant la recherche, les manufacturiers de pesticides ont un intérêt à minimiser les effets secondaires négatifs de leurs produits; par le fait même, ils deviennent à la fois « juge et partie ». La transparence exige des études qui ne soient pas biaisées par des intérêts commerciaux; celles-ci doivent confirmer ou infirmer les études de l’industrie. Le congédiement de M. Robert signifie que son opinion dérangeait les « vendeurs du temple ». De même, on se souvient de toutes ces études des cigarettiers qui affirmaient qu’il n’y avait aucun lien entre le tabagisme et le cancer du poumon!
Nous avons tous entendu parler des « néonics » (néonicotinoïdes) qui seraient possiblement des tueurs d’abeilles. Sans insectes pollinisateurs pour nos plantes, nous perdrons une grande partie de notre nourriture. Aussi bien en Europe qu’en Amérique, profits obligent, les compagnies font un lobbying du tonnerre pour conserver l’homologation de ces produits. Et le glyphosate, l’herbicide vendu sous le nom commercial de Roundup par le géant Monsanto[3], est le plus utilisé dans le monde, mais des études sérieuses laissent croire que ce produit serait un « cancérigène probable »[4]. Il pourrait être également un perturbateur endocrinien; d’autres font un lien avec la maladie de Parkinson.[5]
Durant la semaine du 16 au 22 février, Radio-Canada consacre une série de trois émissions (La semaine verte, Les années lumières et L’épicerie) au sujet du Roundup.[6] L’usage des herbicides pour contrôler les mauvaises herbes est une chose, mais l’arrosage en pré-récolte pour tuer le blé afin qu’il mûrisse plus vite est une aberration qui me déconcerte. Jusqu’à récemment, les producteurs de blé mettaient le blé destiné à la consommation humaine en andain. Ce « javellage » permettait à chaque grain de blé d’avoir une maturation et un séchage optimal; c’est comme laisser le fruit le plus vert sur le comptoir pour l’amener à une maturité égale à celle des autres fruits du panier. Ensuite, il fallait ramasser l’andain avec le «pick-up»( ramasseur) de la moissonneuse-batteuse. C’étaient deux opérations distinctes! Donc, perte de temps et de productivité! Mais même d’un point de vue économique, est-ce une bonne idée d’arroser une denrée avec un herbicide potentiellement cancérigène à quelques jours de la récolte? Lors de l’émission La semaine verte du 16 février, Radio-Canada disait que nos ventes de blé à l’Italie, grand producteur de pâtes alimentaires, ont chuté dramatiquement car 80 % des échantillons de blé canadien contiennent des traces de glyphosate![6] Tout comme les Italiens, je ne veux pas que mon spaghetti ait un arrière-goût de Roundup! Ce genre de pratique donne une raison supplémentaire à ceux qui achètent seulement des aliments certifiés « bio ».
Les multinationales protègent leurs intérêts grâce à leur lobby. En contrepartie, le gouvernement a l’obligation de protéger la santé et la sécurité de la population; le principe de précaution doit avoir la priorité sur la marge de profits des grandes compagnies. Comme les choses ne bougeaient pas à l’interne, M. Robert a dénoncé publiquement. Il faut du courage pour dénoncer l’inacceptable. Si la loi protégeant les lanceurs d’alerte avait existé dans la période de 2006 à 2010, peut-être que nous aurions été prévenus que les gazières expropriaient tout notre sous-sol pour une bouchée de pain. De concert avec les trois partis d’opposition, le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) somme le ministre de faire marche arrière.[7] Comme les contre-expertises du ministère sont essentielles, réembaucher M. Robert, c’est la moindre des choses.
Gérard Montpetit
Membre du comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain
le 18 février 2019
3 ] Le monde selon Monsanto, par Marie-Monique Robin, Édition Stanké, 2008, 377 pages
6] émission «La semaine verte» 16 fév. 2019; http://ici.radio-canada.ca/tele/la-semaine-verte/site/episodes/426862/glyphosate